I put a spell on you

Le cœur battant la chamade, le regard ancré dans celui de Gabriel, Lowell se pencha en avant pour échanger un long baiser avec lui avant de coller son front au sien et de lui sourire simplement. Une légère brise passait à travers les fenêtres baissées de la voiture afin de les rafraîchir, ce qui était plutôt surprenant étant donné qu’il n’y avait normalement pas une once d’air dans l’atmosphère lourde du bayou. Mais on finissait par s’y faire, à la chaleur, à l’humidité, à l’obscurité. Gabriel s’était garé à l’orée du bayou, au bord de cette gigantesque mare noire dans laquelle on ne voyait rien car justement, ils ne voulaient pas être vus. Etrangement, ils continuaient de se cacher, sans vraiment en avoir parlé mais c’était mieux ainsi. Ils ne se questionnaient pas et se contentaient de vivre ce qu’il se passait entre eux sans avoir besoin d’y mettre des mots.

Dès qu’il avait coupé le moteur et éteint les phares, Lowell était passée du siège passager aux genoux de Gabriel, à califourchon sur lui. Elle était menue, elle tenait sans problème entre lui et le volant, et dans l’obscurité de la nuit ils s’étaient adonnés plutôt brutalement à ce qu’ils savaient faire de mieux. Mais cela était contrebalancé par les baisers supplémentaires qu’ils échangeaient après, comme celui-ci, qui duraient de plus en plus longtemps et qui se prolongeaient même de longs moments après avoir fait l’amour ensemble. Ce qu’ils faisaient aussi de plus en plus souvent. Toujours placée sur lui, ses jambes repliées de chaque côté de lui, couverte seulement de son débardeur qu’ils n’avaient pas enlevé sous le coup de la précipitation, elle s’éloigna finalement un peu de lui, gardant tout de même ses mains en coupe sous le visage du barman qu’elle caressait du bout des doigts.

« J’ai un truc pour toi. » souffla-t-elle finalement, avant de retourner sur le siège d’à côté et de remettre rapidement sa culotte et son short. Elle attrapa son sac sur la banquette arrière et fouilla à l’intérieur jusqu’à en sortir une amulette en os attachée à un long cordon de cuir. Elle lui tendit. « Ca me rassurerait si tu la portais. »

Ils ne parlaient jamais d’eux, de ce qu’ils faisaient, et d’ailleurs, ils se refusaient à jamais utiliser le pronom inclusif « nous » pour les désigner. Ils préféraient garder la tête dans le sable pour ne pas voir ce qui était en train de leur tomber dessus. Ils se connaissaient depuis des mois et c’était le temps qu’il leur avait fallu pour s’apprivoiser, pour finir par compter l’un pour l’autre. La jalousie de Lowell s’était allumée progressivement, à mesure qu’elle échangeait des regards furtifs et intrigués avec Gabriel jusqu’à ce que finalement elle commence à lui en vouloir de la faire se sentir ainsi. Et de fil en aiguille cette jalousie dévorante et la haine envers Gabe induite par elle, tout cela la poussa à se jeter désespérément dans ses bras. Et maintenant, c’était comme si elle ne pouvait plus en sortir.

Lowell fut un peu surprise par la réaction de Gabriel. « T’es pas sérieuse j’espère ? » « On ne peut plus sérieuse, » répondit-elle en l’observant tripoter son amulette avec circonspection avant qu’il ne lui remette en main. « Non. Je porterai pas ce machin. » Elle exprima un mouvement de recul avec sa tête tant elle était étonnée par cette réponse négative. C’était bien la première fois qu’elle croisait quelqu’un qui refusait un peu de protection contre le mauvais œil. « Comment ça, non ? » demanda-t-elle avec un ton aussi expéditif que celui de Gabe, « ça te coûte quoi de la porter ? » Elle savait que Gabriel n’était pas d’ici, finalement, mais elle n’en savait pas plus. Néanmoins elle ne comprenait pas comment il pouvait nier les faits qui se déroulaient sous ses yeux ; des filles, tuées, le cœur arraché. Un esprit rationnel aurait pu dire serial killer immédiatement, mais ils se trouvaient à Kentwood. Ici, tout avait un rapport au vaudou, tant et si bien que personne ne pouvait nier qu’il y avait des forces surnaturelles dans les parages. Elle se rappela soudain pourquoi ils ne se parlaient pas. Clairement ils voyaient les choses différemment.