(m) ☀ I put a spell on you / PRIS

Mordant sa lèvre inférieure, Lowell savourait la musique qui sortait du jukebox. Un vieux titre de Nina Simone, elle y avait mis ses tripes et le trompettiste aussi. Son verre de whisky presque vide, elle traçait des lignes d’eau condensée sur le bar et profitait autant qu’elle pouvait de cette fin de soirée au Fever où elle pouvait mettre la musique qu’elle voulait et enfin se reposer des ZZ Top qu’elle ne supportait plus. Lowell était née et avait grandi en Louisiane, la seule musique qu’elle écoutait était le jazz et le blues. Lady Gaga ? Connait pas. Nina Simone, c’était son rayon ; son père avait toujours préféré les vrais jazzmen, les musiciens, les trompettistes surtout. Armstrong, Chet Baker, Miles… Elle, elle était plus portée sur la guitare électrique, le blues, les voix rauques, le swing qui la transcendait et lui faisait tout oublier, mieux que l’alcool, mieux que le sexe.

« Alors, tu te fais pas troncher ce soir Low ? » « Charmant Gabe. » La jeune femme se retourna vers le barman qui faisait la fermeture la plupart du temps avec elle. Il la regardait avec un de ces sourires mi-lubriques mi-amusé qui la rendait folle, et qui surtout lui cassait son trip. « Et toi, t’as pas levé une petite minette ce soir à sauter sur ta banquette arrière ? » répondit-elle en s’accoudant sur le bar, affichant un sourire de la même nature. Gabe, elle ne se l’était jamais fait. Pas avec les collègues, ça se terminait toujours mal, elle avait bien appris sa leçon avec les deux barmen précédents mais elle avait le sentiment que Gabe avait quelque chose en plus. Même s’il disait avoir grandi en ville elle ne l’avait jamais vu avant qu’il ne vienne se faire embaucher au bar. Elle n’était arrivée ici qu’à dix ans mais elle avait rapidement fait le tour des têtes à connaître et il n’en faisait pas parti. Pourtant avec un aussi joli minois elle aurait dû le repérer… Elle se déhancha sur son tabouret pour effacer le désir qui commençait à monter en elle. Cette façon qu’il avait de la déshabiller du regard, l’intensité de ses yeux, elle n’aurait jamais cru dire ça mais cela la rendait presque mal à l’aise. Et pourtant elle avait l’habitude d’être déshabillée du regard et d’être déshabillée tout court.

« Non, aucune me branchait ce soir. » « Pourtant t’avais l’air d’être bien à l’aise avec une blondasse un peu plus tôt. » Il haussa un sourcil et elle regretta immédiatement sa grande gueule et son incapacité à pouvoir la fermer parfois. Le vinyle s’arrêta et il passa au suivant, leur laissa trois bonnes secondes de silence complet dans le bar d’où s’en allait les derniers clients bourrés. « T’as regardé ? » Elle fit une profonde inspiration qu’elle rendit en un souffle qui se voulait régulateur pour les battements de son cœur et son flot sanguin mais ce fut un échec. « Et alors si j’ai regardé, qu’est-ce que ça peut te faire ? » Il se passa la langue sur les lèvres. Elle avait envie de le gifler. Mais la vérité, c’était qu’elle était jalouse. De toutes les filles qu’il touchait, regardait avec un peu d’insistance, probablement aussi de toutes celles qu’il sautait même si elle ne le voyait pas. Ce type l’insupportait avec ses airs de tout savoir, mais elle ne supportait pas de le voir prêter de l’attention à quelqu’un d’autre qu’elle.